De la patience

Ceux qui me connaissent savent que je suis impatient dans les petites choses : je ne sais pas attendre un autobus ! Je crois être patient dans les grandes choses, d’une certaine patience active dont je veux dire ici un mot. C’est tout autre qu’une attente vide, qu’une certaine faculté d’expectation chronologique. C’est une certaine qualité de l’esprit, ou plutôt de l’âme, qui prend sa racine dans la conviction profonde et existentielle, d’abord que Dieu mène le jeu et accomplit par nous un dessein de grâce, ensuite que, pour toutes les grandes choses, les délais de maturation sont nécessaires. On ne peut se dispenser de travailler avec le temps, à condition qu’il s’agisse, non d’un temps vide, mais d’un temps où il se passe quelque chose, à savoir la maturation de ce dont le germe a été confié à la terre. Cette patience profonde est celle du semeur qui sait que « quelque chose germera » (cf. Za. 3, 8 ; 6, 12). J’ai souvent pensé à la parole de saint Paul : « La patience engendre l’espérance » (Rm. 5, 5). (…) Ceux qui ne savent pas souffrir ne savent pas non plus espérer. Les hommes trop pressés, qui veulent tenir tout de suite l’objet de leur désir, ne le savent pas. Le semeur patient, qui confie sa graine à la terre et au soleil, est l’homme même de l’espérance. « A celui qui sait attendre, toutes choses finiront par être révélées, à condition qu’il ait le courage de ne pas renier dans les ténèbres ce qu’il a vu dans la lumière » (Coventry Patmore).
Yves CONGAR, o.p., Réflexions et souvenirs 1929-1973, Cerf, 1974

Photo : Martin FRY, 6 août 2010